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Le dumping social: maladie européenne et fièvre bretonne

Tribune publiée sur « Le Huffington Post » le 12/11/2013

Bien qu’elle ne soit en rien responsable des difficultés économiques que rencontre la Bretagne, l’écotaxe est devenue le symbole d’une crise profonde qui n’attendait qu’un élément déclencheur pour s’exprimer au grand jour. Prenant très justement la mesure de la situation, le gouvernement a choisi, avec la suspension de l’écotaxe, la responsabilité et l’apaisement pour créer les conditions du dialogue autour d’un Pacte d’avenir pour la Bretagne. Il s’agit maintenant d’accompagner le passage d’un modèle agroalimentaire, aujourd’hui en difficulté, vers un nouveau modèle de développement plus durable, créateur de valeur ajoutée et d’emplois. 

Pour autant, si l’État français doit trouver avec les acteurs concernés des solutions pour soutenir la mutation du modèle breton, l’Europe est aussi interpellée. La Bretagne subit un dumping social intra-européen aussi flagrant qu’intolérable.

L’exemple de Gad est l’illustration parfaite de ce mal. L’abattoir breton doit supprimer 899 postes en France alors que ses concurrents allemands, sans obligation de salaire minimum, exploitent des travailleurs détachés venus de l’Est pour un coût horaire variant de 3 à 8 euros contre plus de 20 en Bretagne.  Ils usent et abusent d’un dispositif devenu, au fil des ans, la clé de voûte d’une véritable industrie très lucrative: le placement de travailleurs « low cost»  à travers la multiplication des  sous-traitances en cascade. Nous assistons ainsi à des situations de quasi esclavage et à la mise en concurrence des travailleurs européens dans l’agroalimentaire, mais aussi dans la construction et le BTP. Le phénomène a pris une telle ampleur qu’il déstabilise aujourd’hui des filières entières, provoque du chômage  et accentue les déficits des systèmes de protection sociale.

Le détournement de l’esprit de la directive européenne qui encadre le détachement des travailleurs, les fraudes massives constatées et l’insuffisance des contrôles  rendent aujourd’hui celle-ci obsolète. Tout le monde en convient. Il est urgent d’agir!

Il faut corriger ce dispositif qui ne joue plus le rôle qui lui avait été assigné en garantissant, dans la pratique, une large égalité entre ces travailleurs détachés et ceux du pays d’accueil. Déjà, la commission des affaires sociales du Parlement s’y est employée en juin dernier en modifiant un texte, trop faible, présenté par la Commission. Sous la pression des socialistes, elle est parvenue à renforcer les mesures de contrôle et la responsabilité conjointe du donneur d’ordre et de l’ensemble de la chaine de sous-traitance. C’est une avancée, mais elle est loin d’être acquise et surtout suffisante. Nous aurions souhaité aller plus loin, mais nos propositions se sont heurtées à une farouche opposition des droites européennes.

En octobre, lors de la rencontre des 28 ministres de l’emploi de l’Union, un groupe d’États emmenés par la France a rejeté une proposition jugée insuffisante, refusant un accord a minima qui viderait la réforme de sa substance et permettrait aux abus de perdurer. Le débat est loin d’être clos et le prochain Sommet européen des chefs d’États et de gouvernement devrait se pencher sur la question pour tenter à nouveau de trouver un accord.

En Allemagne, les lignes bougent enfin. Obligée de former une coalition, la Chancelière conservatrice qui ne voulait pas entendre parler d’un salaire minimum à l’échelle de l’État fédéral, entrouvre maintenant la porte à cette exigence des sociaux-démocrates. Les géants allemands de la filière viande ont eux-mêmes annoncé vouloir instaurer un salaire minimum de branche.  Sa mise en œuvre dans les abattoirs d’outre-Rhin réduirait de facto les écarts de compétitivité avec les abattoirs bretons et sauverait des centaines d’emplois en France.

Presque une décennie après le débat sur la directive Bolkestein, faute d’harmonisation sociale au sein de l’Union, réapparait ainsi le sujet  du dumping social, opéré sur le dos des travailleurs détachés qui en sont les premières victimes. Instrumentalisée par les extrêmes, cette situation socialement, économiquement et politiquement destructrice, sape chaque jour davantage la confiance des populations envers le projet européen.  Ne la laissons pas perdurer! Instaurons enfin un salaire minimum européen et remettons au centre des priorités les indispensables solidarités entre  les États de l’Union et entre ses citoyens!

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