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Face aux crises, le choix de la souveraineté alimentaire

L’Europe se mobilise et innove pour affronter les crises. Elle le fait d’ailleurs plutôt bien en mettant en application le nouveau mantra bruxellois : l’autonomie stratégique. Néanmoins, elle peine à mettre en avant les logiques de résilience et de prévention car, face aux crises, perfectionner les outils de gestion de crise ne suffit pas.

L’Europe se mobilise et innove pour affronter les crises. Elle le fait d’ailleurs plutôt bien en mettant en application le nouveau mantra bruxellois : l’autonomie stratégique. Néanmoins, elle peine à mettre en avant les logiques de résilience et de prévention car, face aux crises, perfectionner les outils de gestion de crise ne suffit pas.

La généralisation des dérèglements mondiaux est un symptôme de la crise systémique du modèle néolibéral qui appelle des réformes profondes pour plus de régulation, de solidarité, de souveraineté. C’est notamment vrai pour notre alimentation et l’organisation de la production et des marchés agricoles. L’idée dominante de la Commission est qu’il suffit de favoriser le développement de la production et la fluidité du commerce alimentaire international pour permettre de répondre aux besoins des populations, à l’échelle mondiale comme au sein de l’UE. La Commission continue ainsi à minorer la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement alimentaires soumises aux aléas climatiques comme aux instabilités géopolitiques et aux crises de surproduction. Une chaine rompt toujours par son maillon le plus faible et les prix agricoles trop bas de la décennie passée ont fragilisé nos agriculteurs et émoussé notre potentiel productif. Tout système de spécialisation agricole qui conforte l’éloignement entre production et consommation renforce les vulnérabilités et affecte la sécurité alimentaire. La connexion avec des marchés internationaux ultra-volatils, à la hausse comme à la baisse, se traduit nécessairement par des chocs de prix dont sont d’abord victimes en Europe les populations les plus fragiles et à l’échelle mondiale les pays les plus pauvres et les plus dépendants.

Nous plaidons pour une autre approche. Les politiques publiques doivent favoriser la relocalisation des productions alimentaires à travers un prix adapté du carbone, la réduction des impacts environnementaux des modes de production, le renforcement des aides publiques centrées sur l’emploi agricole et les services rendus à l’environnement et une plus grande implication des collectivités territoriales dans la planification de l’approvisionnement alimentaire.

La stabilité de prix alimentaires doit retrouver une place centrale dans les politiques européennes. C’est une protection pour les paysans, qui ont besoin de visibilité pour s’engager dans la transition écologique et investir. C’est une protection pour les consommateurs, leur pouvoir d’achat et leur accès à l’alimentation.

Un des outils de régulation des marchés est la constitution de stocks qui doivent désormais viser aussi bien la stabilisation des marchés que la constitution de stocks stratégiques permettant de prévenir les crises alimentaires. Cela implique de revoir les règles de la PAC mais aussi celles de l’OMC qui font aujourd’hui obstacle au développement de ce type d’interventions publiques pourtant incontournables alors que le changement climatique n’est plus à démontrer.  Gérer autrement les stocks doit être l’occasion de développer de nouvelles coopérations internationales à l’instar de la « diplomatie du riz » entre les pays de l’Asie du Sud-Est.

Mais en attendant de pouvoir reconstituer des stocks et faire face aux tensions sur les marchés suite à la guerre en Ukraine, il nous faut envisager d’urgence des mesures audacieuses, en particulier flexibiliser les politiques d’agrocarburants pour suspendre leur production quand la sécurité alimentaire doit primer tout en conservant un débouché pour écouler la surproduction.

La relocalisation de l’agriculture et sa transition écologique impliquent structurellement une augmentation des prix de l’alimentation. Nous devrons y répondre en surveillant la formation des prix pour assurer une juste rémunération des paysans et encadrer certaines marges démesurées, mais aussi en défendant le pouvoir d’achat des consommateurs. L’aide alimentaire aux plus démunis doit également être renforcée en lien avec les associations et nous avons besoin de mesures structurantes pour reconnecter les besoins sociaux avec la production durable et non de gadgets ponctuels et non ciblés comme risque de l’être les chèques alimentaires. Nous avons besoin en outre d’un nouveau pacte social fondé sur le relèvement des salaires et des minimas sociaux.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à un double paradoxe politique. Les principes que nous venons d’évoquer sont ceux qui ont été minorés dans le cadre de la dernière réforme de la PAC. Ils sont au contraire assez présents dans les mesures d’urgence proposées par la Commission mais par définition les mesures d’urgence viennent toujours trop tard. On ne peut que s’interroger sur l’absurdité d’une politique néolibérale maintenue contre vents et marée dans un contexte écologique, sanitaire, géopolitique, qui a radicalement changé, et sur le coût et l’efficacité de mesures d’urgence qui ont vocation à se multiplier pour courir derrière une réalité dont la maîtrise nous échappe.

Nous devons aussi résister à une offensive politique qui pousse à renoncer la transition écologique de l’agriculture au nom de la nécessité de produire plus pour affronter la crise en  prenant pour cible la stratégie européenne « de la ferme à la fourchette ». Opposer durabilité de l’agriculture et sécurité alimentaire n’a pas de sens, ce sont au contraire les deux faces d’une même pièce. S’appropriant subitement les principes de souveraineté et de sécurité alimentaire, les conservateurs et les libéraux qui tirent à boulet rouge sur une stratégie européenne « de la ferme à la fourchette » que l’on commence à peine à déployer, devrait avoir la bienséance de convenir que la situation actuelle est le fruit de trois décennies de dérégulation des marchés qu’ils ont porté.

Il est temps au contraire de pousser les feux de la transformation écologique de l’agriculture européenne pour en assurer la pérennité et construire notre souveraineté alimentaire au niveau européen. Cela passe par le lancement d’un nouveau cycle de réformes de la PAC pour rompre avec la logique de la grande réforme de 1992. Et à court terme, cela passera par l’utilisation par la France des marges de manœuvres disponibles pour avoir un Plan Stratégique National ambitieux et alignés sur les objectifs de transition environnementale.

Par Eric Andrieu et Christophe Clergeau

Source : Le Monde 

 

 

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