C’est encore reparti pour un tour. Pour la énième fois, les Etats membres de l’UE ont échoué jeudi à s’entendre sur le renouvellement (ou non) de l’homologation du glyphosate, qui expire mi-décembre. Un comité d’experts représentant les 28 s’est réuni à huis clos pour examiner la proposition de la Commission européenne de réautoriser l’herbicide pour cinq ans (proposition revue à la baisse depuis le dernier échec du genre, le 25 octobre). Mais comme les précédentes fois, aucune majorité qualifiée n’a pu se dégager. Les enjeux sont en effet colossaux : pesticide le plus utilisé au monde – rien que dans l’UE, les produits à base de cette molécule, dont le Roundup de Monsanto, représentent un marché d’environ un milliard d’euros –, le glyphosate a été classé «cancérogène probable» par l’Organisation mondiale de la santé.

Ce jeudi matin, une majorité de pays (14, dont l’Espagne, les Pays-Bas, la Suède, la Hongrie ou le Royaume-Uni) se sont prononcés en faveur de la proposition de Bruxelles, mais cela ne permet pas d’atteindre la pondération démographique requise (65% de la population). Car neuf pays se sont prononcés contre, dont la France, la Belgique, l’Italie, l’Autriche et la Grèce. Cinq Etats se sont par ailleurs abstenus, dont l’Allemagne (a priori à cause de dissensions politiques à Berlin), la Pologne ou le Portugal.

Comité d’appel

«Prenant en compte ses obligations légales et le fait que l’autorisation actuelle expire le 15 décembre, la Commission européenne va maintenant soumettre la proposition à un comité d’appel, fin novembre», indique une porte-parole de la Commission. De quoi s’agit-il ? Ce comité d’appel, qui réunira a priori le 28 novembre «les 28 représentants permanents de l’UE, […] ne peut examiner que la proposition qui a été formulée par la Commission européenne, à savoir cinq ans renouvelable», expliquent les eurodéputés sociaux-démocrates Marc Tarabella et Eric Andrieu dans un communiqué.

Trois scenarii se présenteront alors, selon eux : «Soit la proposition de renouvellement est adoptée, soit il n’y a pas de majorité qualifiée et la Commission pourra décider unilatéralement une extension de l’autorisation (comme elle l’a fait le 30 juin 2016), soit il y a une majorité qualifiée contre la proposition de la Commission. Le glyphosate ne serait alors tout simplement pas réautorisé !» Tout reste donc ouvert, dans ce dossier aux enjeux immenses, objet d’une féroce bataille entre ONG et industriels, au point que le sort du glyphosate s’est transformé en enjeu politique ultra-sensible.

Renouvellement ou plan de sortie définitif ?

Ces dernières semaines, le débat s’est cristallisé autour de la nuance – de taille – entre un renouvellement du pesticide (qui ne fait que reporter le sujet dans X années) et un plan de sortie définitif. Le 24 octobre, en effet, le Parlement européen a voté un avis (sans valeur contraignante) en faveur d’une interdiction complète du glyphosate d’ici à fin 2022. Et de nombreux eurodéputés de tous pays, mais aussi les responsables de certains Etats, comme le Premier ministre belge et son ministre de l’agriculture (lire tweet ci-dessous), réclament la même chose et demandent à la Commission de suivre le Parlement européen.

La nouvelle «La proposition de la Commission ne prévoyait pas de plan de sortie du glyphosate d’ici au 15 décembre 2022 ni d’interdiction immédiate des usages non professionnels comme le demandait notre Parlement, rappellent de leur côté Marc Tarabella et Eric Andrieu. Nous ne demandons pas à la Commission de renouveler cette substance potentiellement cancérigène, mais d’appliquer le principe de précaution et d’indiquer aux Etats membres une porte de sortie pour le glyphosate !»

Pour Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture chez Greenpeace France, «l’enjeu n’est pas de statuer sur trois, cinq ou dix ans de renouvellement mais bien de recentrer le débat sur la nécessité d’une proposition allant vers une interdiction progressive, accompagnée de mesures restrictives. Le glyphosate n’a pas d’avenir à terme. Il faut cesser ces allers-retours et ces atermoiements aberrants de la part de la Commission européenne et proposer une vraie porte de sortie, notamment pour accompagner les agriculteurs».

 

Que fera la France ?

Dans ce contexte, beaucoup de regards se tournent vers la France, poids lourd démographique de l’UE dont l’importance compte dans les votes à majorité qualifiée. Le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, s’est dit «fier» jeudi que la France ait «tenu bon» et «a maintenu sa position sur trois ans» face à la proposition de la Commission de réautoriser le glyphosate pour cinq ans. Oui, mais la position française est loin d’être claire : s’agit-il de trois ans renouvelables ou d’une interdiction de la vente dans trois ans, ce qui rendrait possible une sortie définitive dans cinq ans, le temps d’écouler les stocks ?

Si Nicolas Hulot défend depuis plusieurs semaines une « sortie » du glyphosate dans trois ans, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, s’était prononcé pour une reconduction pour cinq à sept ans, et Matignon avait évoqué fin octobre un maximum de quatre ans. Le ministre de la Transition écologique a d’ailleurs noté mercredi sur RMC et BFMTV que sur ce dossier, il se bat «pied à pied en interne, en externe. […] Le grand changement, c’est qu’on est dans un objectif de sortie, et pas simplement de reconduction. […] La France est en pointe sur ce sujet-là». Interrogé sur ce qui se passerait au terme des trois ans, Nicolas Hulot n’a toutefois pas dit que la substance serait interdite en France. «Un vote pour une autorisation de trois ans pouvant être renouvelée serait insuffisant. Il faut que la France se positionne clairement pour une sortie rapide et définitive du glyphosate», a insisté l’ONG Générations futures mercredi.

Nicolas Hulot en est déjà convaincu. Il a assuré ce jeudi que «tout le monde a inscrit dans son logiciel qu’au-delà d’une réautorisation […], ce sur quoi il faut travailler c’est comment […] on va s’affranchir de toutes ces molécules qui de manière assez justifiée occasionnent une défiance entre le consommateur et le monde alimentaire». Le ministre a de nouveau souhaité que la décision européenne sur la réautorisation du glyphosate soit «assortie» d’un plan de sortie du marché de ce produit. «Effectivement, il faut un plan, sinon dans trois ans il ne se sera rien passé», a-t-il jugé. Reste à savoir si son collègue de l’agriculture, Stéphane Travert, est du même avis.

Copié-collé de Monsanto

Sans surprise, le principal syndicat européen d’agriculteurs, le Copa-Cogeca, aux positions très agro-industrielles et pro-pesticides, a déploré l’échec de ce jeudi.

«L’Union européenne a tourné le dos à ses scientifiques. […] Nous attendons du comité d’appel qu’il prenne sa décision sur la base des solides preuves scientifiques de l’UE en faveur du #glyphosate #LeGlyphosateEstVital », a tweeté l’organisation… en faisant référence au rapport de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques, sur lequel se sont basées deux agences européennes d’évaluation des pesticides (l’Autorité européenne de sécurité des aliments et l’Agence européenne des produits chimiques) pour déclarer le glyphosate non cancérogène, contrairement à l’OMS. Or l’ONG Global 2000 a révélé en septembre qu’une grande partie de ce rapport était en fait un copié-collé d’une étude publiée par Monsanto en 2012