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La Liberté, toujours

Tribune de la DSF publiée dans le Huffington Post – 16/01/2015

Par Eric Andrieu, Guillaume Balas, Pervenche Berès, Jean-Paul Denanot, Sylvie Guillaume, Louis-Joseph Manscour, Edouard Martin, Emmanuel Maurel, Gilles Pargneaux, Vincent Peillon, Christine Revault d’Allonnes Bonnefoy, Virginie Rozière, Isabelle Thomas

Passé le temps de la stupeur et de l’effroi est venu celui de l’émotion, du recueillement, de l’hommage aux victimes et du rassemblement. Quatre millions de Français sont descendus dans la rue pour défendre la démocratie, la République, la laïcité, l’État de droit, pour demander le respect de leur liberté de penser, de dire, de croire ou pas, d’aimer, de rire. La solidarité exprimée à Paris et partout en Europe marque peut-être une étape majeure dans la construction d’un espace public des Européens. L’avenir le dira. Mais une chose est sûre : nous devons nous appuyer sur cette force pour répondre à la guerre que mènent les réseaux terroristes.

Agir ensemble face aux terroristes et défendre les valeurs de la démocratie
Nous saluons le travail exemplaire du Président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement dans son ensemble et nous nous mobiliserons en tant que législateurs européens pour traduire dans les textes les valeurs qu’ils ont réaffirmées après cet acte barbare.
Aujourd’hui, nous avons pour lourde tâche d’adapter l’édifice qui structure nos sociétés à des menaces intérieures et extérieures pour protéger la cohésion sociale, pour protéger des vies. Les choix politiques qui seront faits doivent découler plus que jamais d’analyses sans tabou, et de réflexions communes. Nous affirmons que sacrifier les libertés fondamentales au nom de la lutte contre le terrorisme ne saurait être une solution. Nous ne pouvons pas octroyer cette victoire aux terroristes qui, justement, ne poursuivent qu’un seul objectif, attenter à nos libertés. N’accordons pas non plus cette satisfaction aux semeurs de haine qui profitent de toutes les peurs.
Soyons lucides sur les menaces et intransigeants sur nos valeurs quand nous répondrons aux questions que nous devons affronter ensemble : il n’y a rien de pire, dans l’écriture du droit, qu’une émotion si forte qu’elle en submerge la raison.
Comment mieux faire comprendre, défendre et affirmer ce que sont nos libertés ? Comment organiser, renforcer notre sécurité tout en veillant à l’absolu respect des droits fondamentaux et de nos libertés ? Quelle lutte européenne et mondiale contre le terrorisme ? Comment empêcher de jeunes Français de se radicaliser ? Pourquoi en sont-ils arrivés là ?
Parce qu’elle s’est construite sur le refus d’horreurs commises en d’autres temps, l’Europe a la capacité à faire face à ces questions en trouvant d’autres réponses que des lois liberticides et des juridictions d’exception. A la terreur, nous avons toujours répondu par la démocratie et l’État de droit. C’est ce chemin que nous devons continuer d’emprunter en ne cédant jamais à la facilité dont usent celles et ceux qui voudraient faire croire qu’il suffit d’un slogan pour régler le problème.

La libre circulation, un acquis européen
La suspension de Schengen par exemple est hors sujet et revient pourtant, portée par certains, à longueur de colonnes et d’antennes. Tout responsable politique devrait, au lieu de jeter l’anathème sur ce dispositif, expliquer comment Schengen permet la libre circulation des personnes dont bénéficient chaque jour des dizaines de millions d’Européens qui franchissent librement les frontières. De plus, Schengen permet une coopération policière transfrontalière entre les États, l’harmonisation des contrôles aux frontières et un fichier commun informatisé. En outre, depuis sa réforme en 2013, les États membres peuvent décider de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures en cas d’urgence, dans des circonstances exceptionnelles et en cas de défaillances sérieuses d’un État dans la gestion des frontières communes de l’Union européenne. Une fois de plus, il faut mener le débat et décider avec lucidité sans agiter les chiffons rouges.

Le PNR, quèsaco ?
Les citoyens entendent beaucoup de choses concernant les « données de passagers aériens » (PNR) (1) . Ces données couvrent les informations fournies par les passagers et recueillies par les transporteurs aériens au cours des procédures de réservation et d’enregistrement. Dates de voyage, itinéraire, informations relatives aux tickets, coordonnées et moyens de paiement utilisés, habitudes personnelles. Ces données touchent à la vie privée. Mais, dans certains cas, elles peuvent être utiles aux services de renseignement.
Nous sommes favorables à un PNR européen pour assurer la sécurité des citoyens européens et lutter plus efficacement contre le terrorisme et le crime transnational organisé. Cependant, nous plaidons pour un équilibre entre ce combat incontestable d’une part et le respect des libertés fondamentales et de la protection de la vie privée des citoyens d’autre part, garantis par la Charte européenne des droits fondamentaux. Il est normal que ce soit au sein du Parlement européen que cet équilibre soit recherché.
Nous sommes d’autant plus favorables à un PNR européen que la multiplication des PNR nationaux et des accords bilatéraux ne nous satisfait pas, car ces systèmes offrent moins de garanties au regard des droits fondamentaux. Nous souhaitons donc une harmonisation européenne, pour nous doter d’un cadre juridique plus solide qui sécurise le transfert des données PNR au sein de l’Union, avec davantage de garanties pour le respect des droits de chaque individu, faute de quoi la Cour de Justice de l’Union européenne pourrait annuler des dispositions.
Le dossier PNR et la question de la « Protection des données personnelles », sur laquelle le Parlement s’est déjà prononcé, sont étroitement liés : les États membres devraient avancer en parallèle sur le PNR et les autres instruments juridiques liés à une collecte de données personnelles.

Les autres chantiers européens dans la lutte contre le terrorisme
S’il y participe, le PNR n’est pourtant pas la solution à tous les problèmes, loin s’en faut. La menace majeure à laquelle nous devons faire face va persister au cours des prochaines années, c’est donc sur le long terme et dans une approche globale que nous devons penser notre action politique. L’Europe doit renforcer la qualité de la coopération entre les États, notamment entre les services de renseignement. Il ne s’agit pas en effet seulement de collecter le plus de données possible, encore faut-il les traiter de manière pertinente.
L’Union européenne doit également resserrer les liens entre Europol et les agences nationales. L’accès aux bases de données d’Europol et d’Interpol doit être amélioré, tout comme celui aux fichiers des documents de voyage perdus ou volés. Eurojust, outil sur lequel pourrait s’appuyer un futur parquet européen, doit voir ses moyens renforcés et doit pouvoir lancer des équipes communes d’enquête.
Nous devons établir une meilleure entente, plus de compréhension pour une coopération accrue avec des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne, en accordant une attention particulière à la Turquie, parce que c’est un pays-clé, géographiquement et politiquement.
La place qu’occupent les réseaux sociaux est aussi capitale dans cette nouvelle forme de conflit qui s’exprime dans une terreur d’un autre âge en utilisant les moyens technologiques les plus modernes : nous devons obtenir que Facebook, Google, Twitter reconnaissent et bannissent la diffusion de la propagande terroriste sans nuire à l’espace de liberté qu’est Internet ; devancer et débusquer d’autres réseaux plus discrets et tout aussi nocifs quand il s’agit de véhiculer la haine.

L’austérité, un sujet incontournable
Enfin, il y a une réalité que personne ne peut cacher : la crise économique et son impact sur les budgets nationaux. L’austérité a aussi un impact sur les conditions du développement du terrorisme et sur les moyens de le combattre. L’austérité grève les capacités et donc l’efficacité des forces de l’ordre ; freine le développement de projets indispensables à notre sécurité ; empêche l’école d’avoir les moyens non seulement de former aux matières fondamentales, mais aussi d’enseigner le contrat social qui cimente nos sociétés ; limite l’action positive du tissu associatif, en particulier de l’éducation populaire ; prive d’horizon toute une génération, en particulier dans les quartiers ghettos ; ne permet pas de lutter contre la radicalisation dans les prisons faute de moyens… Si ces questions doivent être traitées dans le cadre d’une réflexion menée essentiellement au niveau national, dans laquelle nous comptons prendre toute notre place, il y a un préalable qui est la question des moyens, question éminemment européenne aujourd’hui.

(1) Passenger name record

Pour consulter la tribune sur le site du Huffington Post, cliquer ici

 

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