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Tribune – Quand le gouvernement fait s’opposer sécurité alimentaire et environnement

Le gouvernement français annonçait, début août, sa volonté de lancer une dérogation à son interdiction des insecticides néonicotinoïdes. Cette décision va à l’encontre de tous les engagements nationaux et européens pour la biodiversité, la protection de l’environnement. La législation européenne permet de suspendre ce type de dérogation abusive et une procédure a été déposée en ce sens.

Beaucoup a déjà été dit des conséquences sur la biodiversité et, en particulier sur les abeilles, qu’aurait la dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes pour la culture des betteraves qu’envisage le gouvernement français. La présence de ce type de substance dans le sol bien après l’utilisation, mais également dans les exsudats foliaires dont se nourrissent les butineuses, apportent les arguments décisifs quant au bien-fondé de l’interdiction.

Dans sa précipitation, le gouvernement français ne semble pas non plus avoir tenu compte du fait que les semenciers sélectionnent actuellement des variétés naturellement résistantes aux différentes jaunisses. De plus, on ne peut que s’étonner de cette position prise sans le recul de l’analyse des rendements d’une récolte qui n’interviendra à l’automne et qui permettra d’identifier les modes de culture et les variétés les plus résilients et d’isoler l’effet d’autres facteurs comme la sécheresse.

L’argument qu’il fallait apporter une réponse rapide à des producteurs prêts à arrêter cette culture révèle une dimension centrale mais pourtant largement passée sous silence : cette filière traverse en crise profonde depuis la fin des quotas sucriers en 2017. Pour preuve, les annonces de fermeture de sucreries depuis au moins deux ans n’ont pas attendues la prolifération du puceron vert. Mais plutôt que de remettre en cause la libéralisation du marché européen du sucre, ce gouvernement préfère le sacrifice de la biodiversité, question de priorité !

En effet, les betteraviers français se retrouvent maintenant avec les prix du sucre parmi les plus bas au monde, faute de protection face au dumping du Brésil. Avec l’ancien prix minimum européen bien plus rémunérateur, nul doute que nos producteurs auraient bien mieux encaissé les conséquences d’un hiver exceptionnellement doux. De surcroit, la fin des quotas a entrainé une concentration géographique de la production de betteraves, et évidemment, la faible diversité des assolements n’est bonne ni pour la biodiversité, ni pour la résilience des cultures, les deux étant liées.

Il est également assez révélateur que la piste d’une aide spécifique à la betterave comme l’utilisent l’Italie ou la Pologne ne soit pas été évoquée dans le débat français alors même que se dessine la prochaine Politique Agricole Commune.

Mais, surtout, en justifiant la dérogation au nom de la sécurité et de la souveraineté alimentaire, ce gouvernement commet une erreur majeure : celle d’opposer environnement et sécurité alimentaire. Car, c’est bien parce que nous avons trop délégué la sécurité alimentaire européenne aux marchés et aux multinationales que nos producteurs sont en difficulté et que l’on s’en remet au court-termisme de solutions qui n’en sont pas ! Au contraire, ma conviction profonde est bien que nous ne réussirons pas la transition de notre agriculture vers plus de durabilité si nous ne nous extrayons pas des dogmes qui nous ont fait renoncer aux principaux leviers de politiques agricoles au profit du tout-marché.

Fort de ce constat, j’ai saisi les autorités européennes pour, qu’en vertu de l’article 53 du règlement européen sur les produits phytopharmaceutiques, la Commission puisse annuler cette dérogation abusive si elle advenait. Et, je demande à ce que les dérogations similaires déjà mises en œuvre en Autriche, en Belgique et en Pologne soient remises en cause. Alors que le Green Deal européen annonce l’objectif de réduire de moitié l’usage des pesticides, la réponse à apporter aux agriculteurs européens doit être économique et relever de la PAC et non se faire au détriment de la biodiversité et des abeilles.

 

Source : Mediapart 

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