Eric Andrieu, député européen, est membre du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D). Originaire de l’Aude, c’est un spécialiste d’agronomie et des questions agricoles. Il répond à nos questions sur la Politique agricole commune.
Alors que le débat sur la future PAC post 2020 a débuté, la politique agricole commune est-elle encore nécessaire ? Faudrait-il la renationaliser comme le suggèrent plusieurs députés europhobes ?
La Politique agricole commune est la première politique européenne, l’une des plus abouties, l’une des plus concrètes, avec celle de la cohésion, pour les citoyens européens. Elle représente 38 % du budget de l’Union européenne mais il est vrai qu’elle ne satisfait ni les agriculteurs, ni les consommateurs, ni les associations environnementales. Je fais partie de ceux qui pensent qu’elle doit être profondément refondée, mais en aucun cas renationalisée. Ce serait d’ailleurs une grave erreur car cela aurait des conséquences dramatiques pour l’ensemble du secteur agricole. On voit bien que les grands enjeux actuels, qu’ils soient climatiques, environnementaux ou en matière d’emploi, appellent des solutions communes et non à du repli sur soi. La globalisation de l’économie, l’émergence de nouvelles puissances agricoles comme la Chine, l’Inde ou le Brésil par exemple nous obligent à être unis pour être plus forts afin de peser sur la scène internationale. La France seule ne représente absolument rien face aux Etats-continents. Elle n’aurait plus aucun rôle dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cela n’a aucun sens.
Fin juin, la Commission a publié un « document de réflexion » sur l’avenir des finances de l’UE ». Et dans les cinq scénarios qu’elle imagine, quatre supposent un budget moins élevé pour la PAC alors que les budgets consacrés à l’agriculture augmentent dans les Etats-continents, notamment le Brésil et la Chine ? Comment réagissez-vous ?
L’Union européenne veut-elle, aujourd’hui et demain, jouer un rôle à l’échelle internationale ? Nous devons répondre à de nouveaux défis : ils sont climatiques, environnementaux, liés à la sécurité alimentaire, aux migrations etc. Si c’est à budget constant, c’est irréaliste. Cela ne marchera pas. En outre, on ne peut pas y répondre en piochant dans des budgets existants comme ceux de la cohésion ou de la Politique agricole commune. A l’instar des autres Etats-continents, il me paraît urgent de mettre en place un véritable plan stratégique de souveraineté et de sécurité alimentaire à moyen terme. Aujourd’hui, par exemple, nous n’avons aucune politique européenne pour les protéines végétales. Depuis des décennies, on parle de plan protéinique, mais on ne l’a jamais mis en œuvre. Pour nourrir notre bétail, ainsi qu’une partie importante de la population européenne, nous importons 80 % de soja OGM. Si nous n’y prenons pas garde, nous devrons gérer dans 20 ans des problèmes de sécurité alimentaire. Je fais partie de ceux qui pensent que les citoyens ne doivent pas avoir à choisir entre la sécurité alimentaire et la sécurité tout court. C’est la raison pour laquelle je pense que la prochaine parc sera agricole et alimentaire ou ne sera pas.
Avec le Brexit prévu en 2019, le budget communautaire va être amputé des 10 milliards de contributions nettes de Londres. La PAC ne risque-t-elle pas de faire les frais de ce manque à gagner ?
Oui, c’est évident. Outre ces 10 milliards, il nous faudra environ 15 milliards pour répondre aux défis évoqués plus haut. Comment y répondre alors que les états membres ne veulent pas sortir de la clause des 1 %. Je rappelle que sur 100 euros gagnés, un citoyen européen reverse en moyenne 50 euros en impôts divers et cotisations sociales, et sur cette somme, un seul euro est destiné à financer le budget de l’Union européenne. Et, avec ces 1 euro, on veut financer des politiques de cohésion, de sécurité, de migration, de défense, de développement de l’agriculture ? Ce n’est pas sérieux. Si l’on doit faire preuve de plus d’efficacité dans l’utilisation de l’argent public, y compris pour l’agriculture, Il aussi faut travailler sur la recherche de ressources propres. Répondre aux nouveaux défis par un budget constant est irréaliste. Il faut sortir de la clause des 1 %. Les états doivent choisir de mettre en place du pouvoir régalien à l’échelle de l’Union européenne.
Selon la MSA, de nombreux exploitants en France ont gagné en 2016 près de 345 euros par mois. Est-ce lié aux réformes successives de la PAC, validées par les états membres, qui ont d’une certaine façon consacré le primat des règles du marché à la régulation par les pouvoirs publics ?
Sur le plan des revenus des agriculteurs, la situation est grave, c’est évident. Depuis 2010, nous perdons en France chaque année 20 000 exploitations. En 2016, selon nos propres chiffres, le revenu moyen agricole était de 638 euros/mois , sachant que la retraite moyenne est de 730 euros, c’est-à-dire en dessous du seuil de pauvreté. Il est vrai que 2016 a été une année difficile, avec des phénomènes météo qui ont touché les céréaliers, les différentes crises, comme celles du lait, la filière bovine affectée par l’afflux de vaches de réforme. En 2016, le nombre de suicides chez les agriculteurs a été multiplié par trois. Force est de constater que les politiques conduites par les instances européennes, majoritairement conservatrices et libérales, ont pour conséquences une aggravation des situations en raison d’une exacerbation de la concurrence. Toutes les réformes de la PAC engagées depuis les années 1990 ont laissé libre cours au seul marché, dévastateur pour les agriculteurs, l’environnement, l’économie des territoires. Un autre modèle agricole est possible ! Un modèle plus respectueux de la santé humaine et de l’environnement, mais aussi qui assure un revenu décent et stable aux agriculteurs européens qui ne demandent qu’à vivre de leur métier. A terme, et nous le dénonçons, c’est dangereux pour la sécurité alimentaire des européens. Il n’y a pas une semaine sans qu’un scandale n’éclate : ceux du le glyphosate, des néo nicotinoïdes ou des perturbateurs endocriniens pour ne prendre que ces seuls exemples.
Les États ayant refusé tout plafonnement des aides et toute dégressivité en fonction de la taille de l’exploitation, « 80 % des aides directes sont toujours versées à 20 % des agriculteurs ». Un modèle à changer ?
Oui bien sûr. J’avais proposé le plafonnement des aides à 200 000 euros. Sur cette question du plafonnement, lors du vote en plénière, nous avons perdu de quelques voix seulement. Cette question du plafonnement devra figurer à l’ordre du jour de la prochaine réforme, avec la conditionnalité des aides. Il est essentiel de les réorienter vers les petites et les moyennes exploitations qui sont plus performantes sur le plan de l’emploi et s’adaptent mieux aux aléas du marché. Il faudra continuer à majorer les aides sur les premiers hectares.
Dans un pays comme la France, les services publics et les commerces disparaissent dans les zones rurales, ce qui n’incite pas les jeunes à rester ou à s’installer… Le nombre d’agriculteurs a baissé dramatiquement en 50 ans ? Quel rôle doit selon jouer la politique agricole commune pour infléchir ce phénomène ?
Je pense qu’il faut re-territorialiser la PAC. C’est à mon sens essentiel. Il faut considérer les critères de l’emploi et des territoires, le soutien aux jeunes agriculteurs, comme des éléments de conditionnalité dans les aides futures. Ce doit être une priorité de la future réforme. Les moins de 35 % dans l’agriculture ne représentent plus que 7 % de la totalité des exploitations. Du coup, le renouvellement des générations est loin d’être assurée, ce qui impacte négativement les économies des territoires. Il faut réfléchir à de nouveaux outils d’aide à l’installation, plus simples, à la modernisation et à la transmission des exploitations. Il faut lutter contre la concentration et l’accaparement des terres par les grandes sociétés, les fonds de pension etc. qui se développent en France et ailleurs.
Il faut savoir qu’en Europe, 3 % des exploitations concentrent 50 % des terres agricoles. La Politique agricole commune doit, à l’inverse, valoriser les signes de qualité, mette en place une véritable politique en faveur des territoires ruraux. Il faut renforcer le lien entre les fonds de la politique de développement rural et la politique de cohésion, donner la primeur aux projets de territoires, favoriser les productions de services sur les exploitations (tourisme vert, services environnement) et privilégier les emplois non délocalisables. Il faut rompre avec une politique commerciale à l’international qui est suicidaire.
Que pensez-vous de la proposition de Macron de créer «un système de subventions contracycliques de garantie sur les prix ou le chiffre d’affaires» face à la volatilité des prix notamment ?
Sincèrement, c’est un sujet que je défends avec force et je suis heureux que le président de la République reprenne cette idée. Il est en effet urgent de mettre en place des outils pour lutter contre la volatilité des prix. C’est le problème numéro un des agriculteurs auquel on ne peut pas répondre uniquement avec un volet assurantiel. Contrairement à ce que pensent les conservateurs et la droite au sein de l’Union européenne, l’assurance ne va pas régler tous les problèmes. Mais le volet contracyclique non plus. Il faut donc une combinaison d’outils, qui vont de l’échelon national (baisse des charges, lissage fiscal etc), au niveau européen avec ces contrats et de l’assurance utilisée de façon ciblée. Sur ces questions, il faut avoir une approche pragmatique et pas doctrinale.
« Pour défendre un bon budget, les agriculteurs doivent devenir des défenseurs de l’environnement », a récemment déclaré le ministre portugais de l’agriculture, Capoulas Santos, évoquant les paiements verts. Vous êtes d’accord ?
Je préfère que les agriculteurs soient davantage des acteurs de l’environnement plutôt que des défenseurs. C’est comme au rugby, il vaut mieux attaquer que défendre. Cela implique une re-politisation du secteur de l’agriculture qui touche tout à la fois à l’environnement, la santé humaine, l’emploi, les territoires, le commerce international. Que demandent, majoritairement, les consommateurs, les citoyens ? Lier davantage l’agriculture et l’alimentation, lutter contre le dérèglement climatique, protéger l’environnement, vivre et travailler dans les territoires ruraux. Si on ignore cette globalité, on ne pourra pas défendre le prochain budget de la réforme de la PAC.
L’actuel commissaire européen à l’Agriculture et au développement rural, M. Phil Hogan, avait désigné la simplification de la PAC comme l’une des toutes premières priorités de son mandat. J’imagine que vous partagez cette démarche ?
Oui, d’autant que certains agriculteurs en France, en raison des lourdeurs administratives, ne toujours sont pas payés deux ans après les réformes. Simplifier ? Oui bien sûr ! Mais mais aussi et surtout réorienter la PAC. On ne pourra pas se limiter à une réforme à minima, ni la reporter à 2024 ou 2025. Le changement de climat, c’est aujourd’hui. Face aux défis, aux enjeux géopolitiques, aux progrès scientifiques et technologiques qui vont modifier rapidement le visage de l’agriculture, des réformes en profondeur doivent être engagées, et vite.
Quels sont selon vous les principaux défauts de la politique agricole commune aujourd’hui ?
Elle est trop complexe. Elle a accompagné l’hyper-mondialisation plus qu’elle ne l’a anticipée. On a concentré les productions, les organisations, les transformations. On a oublié le lien entre l’emploi et les territoires, les liens entre l’agriculture et la santé humaine etc. L’agriculture n’est pas un secteur comme un autre. Il faut le traiter différemment. Il faut conditionner les moyens de la réforme au regard d’orientations politiques claires.
Pour vous, la PAC idéale, ce serait quoi ?
C’est une politique qui soit en harmonie avec les enjeux du 21 e siècle. En 2050, nous serons plus de 9 milliards. 2050, c’est demain. Nous devons d’ores et déjà anticiper. Et l’anticipation passe par un changement de modèle agricole précédemment évoqué. » L’agriculture nécessite une approche audacieuse et novatrice ! C’est d’une révolution de notre politique agricole européenne dont nous avons besoin, et ce dès à présent. Nous devons remettre l’agriculture au cœur du projet politique européen.