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Glyphosate : La France refuse la réautorisation au-delà de trois ans

Les Européens doivent décider, jeudi, du sort de l’herbicide produit par la firme Monsanto.

LE MONDE | 08.11.2017 à 10h59 • Mis à jour le 08.11.2017 à 11h18 | Par Stéphane Foucart et Stéphane Horel

Après deux ans d’atermoiements, de reports et de polémiques, les Etats membres doivent finalement voter, jeudi 9 novembre, pour décider de la réautorisation du glyphosate, l’herbicide le plus utilisé au monde, ingrédient actif du célèbre désherbant de Monsanto vendu sous le nom de Roundup, dont la licence en Europe expire le 15 décembre. Le 25 octobre, la Commission avait mis sur la table une proposition pour une réautorisation révisée à la baisse – de dix à cinq ans. Selon nos informations, cette révision à la baisse ne permet toujours pas d’obtenir la majorité qualifiée nécessaire au vote (plus de la moitié des Etats membres, rassemblant au moins 65 % de la population européenne) et la Commission, à la veille du vote, planchait encore sur une nouvelle proposition.

Au Royaume-Uni et à l’Espagne, favorables au glyphosate, s’opposent la France, l’Italie, la Belgique ou l’Autriche et, dans une moindre mesure, l’Allemagne, qui s’est jusqu’à présent abstenue. La chancelière, Angela Merkel, étant toujours dans l’incapacité de former son gouvernement, elle pourrait conserver cette posture. La France, elle, ne votera pas une réautorisation de plus de trois ans, a déclaré Nicolas Hulot, le ministre de la transition écologique et solidaire, mercredi sur RMC.

L’Italie est sur la même ligne et une simple « extension » de l’actuelle autorisation pour trois ans est discutée. Une telle option rendrait possible une sortie du glyphosate dans un délai de cinq ans – le temps pour les stocks d’être écoulés une fois achevée la période d’extension. Dans une résolution non contraignante, le Parlement européen s’était prononcé, le 24 octobre, pour une telle option.

Renouvellement pour trois ans ? Extension de l’autorisation actuelle en vue d’une sortie en cinq ans ? L’issue de la réunion de jeudi est très incertaine et l’obtention d’une majorité qualifiée semble peu probable et ce pourrait être, in fine, à la Commission de trancher. La pression est considérable : de toutes parts, lobbyistes et groupes de pression ont tenté ces derniers jours d’ultimes manœuvres pour peser sur l’issue du feuilleton.

Réautorisations contestées A la demande du député européen luxembourgeois Claude Turmes (Groupe des Verts-Alliance libre européenne), l’avocate française Corinne Lepage a rendu, dimanche 5 novembre, une note d’analyse juridique des réautorisations successives du glyphosate en Europe. L’ancienne ministre de l’environnement dénonce un « imbroglio juridique » et assure que le maintien du glyphosate sur le marché européen, depuis 2012, relève en fait d’un « détournement de procédure ».

« Le glyphosate a été autorisé pour la première fois en Europe en 1975, au Royaume-Uni, mais sa première autorisation formelle au niveau européen ne remonte qu’à 2002, explique Mme Lepage au Monde. Il était alors, conformément au règlement européen, autorisé pour dix ans, c’est-à-dire jusqu’au 31 juin 2012. »

Mais, en 2010, une directive donne au glyphosate un répit jusqu’en 2015. Or, la base légale de ce sursis pose question, et « il existe un doute tout à fait sérieux sur la viabilité de la prolongation de ce délai », décrypte Mme Lepage. La date butoir de 2015 a ensuite été prolongée à deux reprises, jusqu’à la mi-2016, puis la fin de 2017. « Le résultat est qu’un herbicide autorisé en 2002 pour dix ans se trouve, quinze ans plus tard, toujours sur le marché ! », dit Mme Lepage.

Lobbying dissimulé L’ONG Corporate Europe Observatory (CEO) a déposé plainte contre Monsanto, mardi 7 novembre, auprès du secrétariat chargé du registre officiel européen des lobbys. Selon CEO, la somme qu’y déclare Monsanto en dépenses de lobbying (400 000 euros en un an) est largement sous-évaluée. D’après les calculs de l’ONG, la firme consacre 910 000 euros pour payer quatre cabinets de lobbying chargés de défendre ses intérêts à Bruxelles, en particulier Fleishman Hillard, une agence spécialisée dans les relations publiques et la communication d’entreprise, rémunéré entre 700 000 et 800 000 euros.

Par ailleurs, selon CEO, Monsanto omet de signaler être adhérente de quatre organisations sectorielles, dont European Crop Protection Association (ECPA), l’association des fabricants de pesticides très active sur le front du lobbying pour le glyphosate au cours des derniers mois. Enfin, il n’existe nulle entrée dans le registre pour deux autres structures que finance Monsanto, comme la Glyphosate Task Force, l’alliance des firmes commercialisant le glyphosate en Europe.

Lettre d’avocats Le cabinet d’avocats américain, Baum & Hedlund, a écrit, mardi 31 octobre, un long courrier aux parlementaires européens, ainsi qu’à plusieurs représentants de la Commission et des Etats membres, pour les enjoindre de ne pas réautoriser le glyphosate dans le Vieux Continent. La firme, qui représente plusieurs centaines de plaignants dans une action collective contre Monsanto, y expose les éléments à charge réunis par des experts qu’elle a recrutés.

Ils démontrent, selon elle, un lien entre glyphosate et cancer. Les avocats ont annexé, à leur lettre, l’analyse de 32 études épidémiologiques explorant, chez les humains, un lien entre les désherbants à base de glyphosate et le lymphome non hodgkinien, un cancer rare du sang. Même si la majorité comportait un nombre de personnes trop limité pour permettre de dresser des conclusions fermes, 28 suggèrent un risque accru de la maladie chez les personnes exposées au produit.

Projection sauvage Les défenseurs du glyphosate se sont servis de la façade du Parlement à Bruxelles pour projeter des messages lénifiant sur l’herbicide dans la soirée du 24 octobre, et cela a fortement déplu à deux eurodéputés. « La façade du Parlement européen n’est pas un paillasson ! », se sont ainsi indignés, mardi 7 novembre dans un communiqué, les eurodéputés socialistes, Eric Andrieu et Marc Tarabella. Les faits se sont déroulés à la veille de la réunion des représentants des Etats membres qui devaient se prononcer sur la réautorisation du glyphosate.

A l’aide d’un puissant vidéoprojecteur, des messages, tels que « Le glyphosate est SÛR » ou « Examinez les faits » avaient été projetés sur les façades du Parlement, mais aussi du Berlaymont – le siège de la Commission –, et des deux bâtiments du Conseil. Les auteurs de l’opération : cinq organisations de lobbying, menées par l’ECPA, qui représente le secteur des pesticides et herbicides et dont Monsanto est adhérente. Coutumiers des coups de gueule, MM. Andrieu et Tarabella se sont officiellement plaints auprès du président du Parlement, Antonio Tajani, et lui ont demandé de prendre des sanctions contre cette « insulte pour la démocratie ».

« Monsanto Papers » La clairvoyance de Monsanto sur la dangerosité de son herbicide phare affleure des dernières livraisons de ses documents internes, rendus publics par la justice américaine depuis le printemps. Ces nouveaux « Monsanto Papers » montrent notamment que la firme agrochimique s’attendait à ce que le CIRC déclare le glyphosate cancérigène. Le 23 février 2015, un mois avant que l’agence des Nations unies ne déclare l’herbicide « cancérigène probable », Monsanto élaborait déjà le rétroplanning de sa contre-attaque. « Nous devrions nous attendre et nous préparer à une conclusion pour un classement 2B [cancérigène possible pour l’homme] ; un classement 2A [cancérigène probable pour l’homme] est possible mais moins plausible », est-il consigné dans un mémo.

La firme planifiait alors sa surprise et son indignation en vue d’« orchestrer le tollé contre la décision du CIRC »… qui ne sera annoncée que le 20 mars. Plus tard, en avril, un scientifique et ancien employé de Monsanto, John Acquavella, déplore dans un courriel : « Si le jugement en matière de toxicologie au CIRC était cohérent avec d’autres évaluations bien plus en profondeur, la classification aurait dû être 2B [cancérigène possible]»

 

Source : Le Monde

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