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Il faut une nouvelle Politique Agricole Commune! La lettre de Mansholt en 1972 est plus que jamais d’actualité…

« C’est un grand honneur pour moi de participer à cette célébration des 60 ans de la Politique Agricole Commune. Député depuis 2012, j’ai participé à la reforme de 2013, au paquet Omnibus de 2017 ainsi qu’à la dernière réforme parachevée en 2021 en tant que rapporteur du Reglement de l’Organisation commune des marchés, l’une des plus anciennes bases légales de notre Union européenne.

 

Comme pour chacun d’entre nous réunis ici ce matin, je connais la place toute particulière de la Politique Agricole Commune dans la construction européenne : elle en est à la fois un moteur, un lieu d’expérimentation et une source de confrontation au réel incontournable :

– un moteur, parce que rapprocher les politiques agricoles des 6 Etats membres fondateurs a été une étape décisive dans la création du marché commun européen ;

– un lien d’expérimentation, parce qu’elle a même préfiguré la création de la monnaie commune ;

– et enfin, une source de confrontation au réel, parce qu’entre les enjeux budgétaires, les contraintes internationales et les nouveaux impératifs écologiques, la PAC a été amenée à se transformer et le sera encore à l’avenir.

 

Avant de parler plus précisément du rôle de ce Parlement en matière de réformes de la PAC, il me semble important de rendre hommage à l’un de ses pères fondateurs : je veux parler du tout premier Commissaire à l’Agriculture, Monsieur Sicco Mansholt.

 

Cet ancien Ministre de l’agriculture des Pays-bas, a eu un rôle décisif lors de la Conférence de Stresa et il ne ménagea pas sa peine pour mettre en oeuvre la PAC dans sa version historique, celle que l’on a connu des années 1960 jusqu’au début des années 1990.

 

On se rappelle également que Sicco Mansholt a donné son nom à un rapport tout à fait visionnaire en 1968 où il alertait sur la surproduction à venir, le besoin de retirer des terres de la production mais aussi la nécessité d’accompagner la sortie d’une partie de la population agricole considérée comme excédentaire suite aux importants gains de productivité. Ce rapport a donné lieu aux mesures de pré-retraite des années 1970 et s’est soldé, plus de 25 ans plus tard par la grande réforme de 1992, celle qui ouvrit la deuxième ère de la PAC.

 

Si le rapport Mansholt a laissé une trace importante dans les milieux agricoles, on sait moins que Sicco Mansholt a également fait date dans le milieu écologiste en publiant une lettre adressée à Franco Malfatti, le Président de la Commission de l’époque, qu’il remplaça peu après. Je vous invite à prendre connaissance de cette « lettre Mansholt » de février 1972 car elle est plus que jamais d’actualité. Se basant sur les travaux du « club de Rome » et du rapport Meadows, cette lettre appelle la Commission européenne a changé de logiciel pour abandonner la course effrénée de la croissance économique qui conduira inéluctablement à l’épuisement des ressources naturelles. Sicco Mansholt appelle ainsi à remplacer le PIB par le « Bonheur National Brut ». Surtout il plaide pour que l’on s’intéresse urgemment aux « déséquilibres écologiques » causés par les pesticides et aux « déséquilibres thermiques », c’est comme cela que l’on parlait du changement climatique à l’époque. Et pour transformer notre système productif, y compris l’agriculture, il parle de planification et d’une politique de prix spéciale pour les produits durables.

 

Cette lettre, écrite il y a tout juste 50 ans, est certainement celle d’un visionnaire qui n’aura pas été suffisamment pris au sérieux même si l’on peut voir une certaine filiation avec le Green Deal européen. Quoiqu’il en soit, les principes qu’il a établis sont plus que jamais valables et doivent nous inspirer pour penser la 3ème PAC, c’est à dire la PAC qu’il nous convient maintenant d’écrire pour faire advenir l’autonomie stratégique de l’UE en matière d’agriculture et d’alimentation afin de concilier au mieux la transition écologique et la sécurité alimentaire sur le continent européen.

 

Venons-en maintenant au rôle du Parlement européen dans la PAC. Depuis 2008, et cela a été dit précédemment, l’agriculture est entrée dans le champ de la codécision, faisant du Parlement un co-législateur à part entière. Il faut bien sûr s’en féliciter, car outre la légitimité que nous donne le vote des 450 millions d’Européens, l’histoire récente a montré la capacité du Parlement à être force de proposition et à porter des sujets importants. Cela a notamment été le cas sur le Règlement OCM, où le Parlement a quasiment eu le pouvoir d’initiative.

 

Cependant, on ne pourra pas exagérer outre mesure le pouvoir du Parlement : face à une réforme mal engagée dès le début, l’expression « à l’impossible, nul n’est tenu » prend tout son sens ! En effet, pour représenter le processus de la dernière réforme je parlerais de pyramide inversée. Alors que dans l’idéal, on commence par fixer les objectifs, puis on définit un budget et des outils efficaces ;  dans le cas de la nouvelle PAC, on a fait précisément le contraire : on a fixé le budget à l’identique, on a repris les outils les moins efficaces – les aides à l’hectare – et enfin est arrivé le Green Deal et la Stratégie FArm to Fork avec ses objectifs ambitieux. Je le dis maintenant, comme je l’ai dit au début de ce mandat, ce n’était pas la bonne façon de faire : il était pour moi nécessaire de proposer une nouvelle base pour réformer la PAC, avec une vraie discussion sur les moyens nécessaires. C’était la seule façon de sortir du piège d’une renationalisation qui plait aux Etats membres et de contenir la pression des intérêts agricoles à qui il sera toujours difficile d’en demander plus avec autant, voire moins, de moyens.

 

J’espère donc que la Commission saura faire mieux la prochaine fois. La crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont reposé la question de la sécurité des approvisionnements alimentaires, et ont montré que la transition écologique et la sécurité alimentaire allaient de pair et nécessitait un cadre suffisamment protégé de la spéculation et de l’instabilité des marchés internationaux pour être conduites à bien.

 

Enfin, on ne peut passer sous silence le rôle du Conseil. Sur des sujets aussi complexes qui s’écoulent sur plusieurs années, la Présidence tournante rend la négociation très compliquée. Cela n’est pas possible de changer de partenaires de négociation tous les 6 mois ! Il faut que le Conseil s’organise autrement, sinon on en arrive à une Présidence du Conseil qui ne préside pas grand chose et devient une sorte de Secrétariat du Conseil. Un changement du côté du Conseil est nécessaire afin de sortir du jeu des postures nationales et de la logique du plus petit dénominateur commun.

 

Pour conclure, je crois sincèrement que le Parlement européen a pris la mesure des enjeux lors de la dernière réforme de la PAC et a démontré, s’il le fallait, qu’il méritait d’être colégislateur à part entière. Si le Parlement s’est battu pour défendre le caractère commun de la PAC et avancer vers la construction d’une souveraineté alimentaire européenne, l’essentiel reste à faire pour faire advenir véritablement la 3eme PAC, celle que Sicco Mansholt et d’autres ont déjà esquissé. »

 

 

 

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