Pour l’eurodéputé socialiste Eric Andrieu, la lutte climatique et la pandémie de Covid-19 nous obligent à remettre l’agriculture au cœur du débat sociétal. Et à doter le changement du modèle agricole d’outils et de moyens ciblés. Explications.
Les objectifs de la stratégie européenne « De la fourche à la fourchette » sont-ils à la hauteur des enjeux pour le climat et l’environnement ?
C’est effectivement un pas dans la bonne direction en matière de réduction d’intrants et d’engrais, qui s’appuie sur des objectifs précis. En voulant développer l’étiquetage des aliments, la stratégie européenne est aussi intéressante pour retrouver une alimentation saine et plus riche en nutriments. Il faut rappeler que n’était pas gagné. Les députés conservateurs et libéraux étaient favorables à un report pur et simple de la stratégie. Pour autant, les outils et les moyens disponibles ne sont pas à la hauteur. Le principal outil pour moi, c’est la politique agricole commune (PAC). Sur ce plan, je continue d’ailleurs à m’opposer à la proposition mise sur la table par la Commission européenne. J’ai voté contre ce texte car il est largement insuffisant pour parvenir aux objectifs de la stratégie « De la fourche à la fourchette », en particulier sur le découplage des aides à l’hectare qui ne permet pas de réorienter la production. Il y a donc une antinomie entre cette stratégie qui appelle vraiment à un changement de modèle en matière de production et de consommation et une PAC insuffisante.
La Commission parle aussi de promouvoir l’agriculture de précision…
Il faut être très clair. Je soutiens une agriculture de précision si elle est favorable à une reconquête de la qualité des sols et de l’alimentation. Si elle a pour seul objectif d’augmenter la productivité au détriment de la santé, du respect de la biodiversité et de la qualité de l’air et de l’eau, c’est une impasse. Pour l’instant, elle reste assez floue quant à sa finalité.
Comment reconnecter la PAC à ces grands enjeux climatiques et environnementaux ?
Le seul élément positif de la proposition actuelle, c’est l’écho-scheme, une conditionnalité des aides plus ambitieuse qui s’appuie sur des bonnes pratiques volontaires des agriculteurs. Pour le reste, la renationalisation est une très mauvaise nouvelle. On n’a jamais eu autant besoin d’une politique commune en Europe parce qu’il faut remettre l’agriculture au cœur du débat sociétal. L’agriculture a un rôle fondamental à jouer dans la lutte climatique et la reconquête de la biodiversité et on ne peut pas la traiter comme un monde à part, comme on l’a fait pendant 50 ans au niveau européen, avec la distribution d’une enveloppe que le secteur se répartissait. C’est pourquoi je suis favorable au Pacte vert et à la stratégie Farm to fork mais opposé à tout instrument de renationalisation. On a deux ans devant nous avant la nouvelle PAC qui doit être finalisée fin 2021. Il faut mettre ce temps au profit d’un grand débat qui redonne de la superbe à l’agriculture.
L’éco-conditionnalité doit être au cœur de cette réforme ?
Ce n’est pas, à mon avis, le premier critère. C’est impensable aujourd’hui que la Commission, dans sa proposition, ne fasse aucune référence aux outils de régulation du marché. La crise de la Covid-19 le révèle mais la vision dogmatique de la direction générale de l’agriculture, et son lien au libéralisme, l’empêche de faire évoluer le modèle agricole actuel. Il faut avant tout garantir aux agriculteurs des revenus dans le cadre d’une vision à moyen et long terme. S’ils n’ont pas la garantie que les marchés et les prix seront stabilisés, les agriculteurs n’investiront pas dans la transition. C’est la première chose à faire. Ensuite, j’attends de la Commission qu’elle donne les moyens et les outils nécessaires au changement de modèle. Il ne faut bien sûr pas réduire le budget de la PAC et accompagner financièrement les agriculteurs. Avec un changement des règles des paiements directs pour réduire le poids de l’aide à l’hectare et revaloriser les éco-conditionnalités en listant les pratiques favorables à l’environnement. Jusqu’à présent, l’argent de la PAC est allé aux multinationales et à la chimie. A l’évidence, la répartition de la valeur est déséquilibrée dans la chaîne alimentaire. Elle se fait au profit de l’aval et non de l’amont. Pour la rééquilibrer, il faut donc aussi revaloriser le second pilier dédié au développement rural. Et si l’on reconnaît que l’agriculture est un acteur majeur, dans le cadre d’une souveraineté alimentaire réappropriée, alors il faut lui en donner les moyens financiers.
Le plan de relance économique de l’UE est-il une occasion ratée ?
C’est encore trop tôt pour le dire. Ce plan va dans la bonne direction, même si la Commission propose un cadre pluriannuel à 1.750 milliards d’euros (voir l’article du JDLE), en-deçà de la proposition du Parlement européen et plus proche de celle du Conseil. Mais il faut encore attendre demain ou après-demain pour savoir si l’agriculture fait l’objet, ou non, d’une aide sectorielle conséquente.
Source : Journal de l’environnement