Par Eric Andrieu, Député européen, Porte-parole des sociaux-démocrates européens pour l’Agriculture et Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies, Vice-président de Samu Social International
Les chefs d’État et de gouvernement se réunissent ce vendredi pour aborder la question épineuse des perspectives financières de l’Union européenne, avec en point d‘orgue une baisse du budget de la Politique agricole commune (PAC), afin de financer les nouvelles priorités politiques, à commencer par le défi migratoire.
Alors que les premiers concernés par ces mouvements de population sont issus de la ruralité, on ne peut que regretter que les politiques publiques dans les domaines agricole et migratoire soient une fois de plus mises dos à dos.
Depuis le sommet de La Vallette en 2015 qui avait identifié l’enjeu du développement économique en matière agricole comme levier de création d’emplois, l’incapacité de l’Europe politique à développer une approche globale liant migration, agriculture et commerce est patente. Preuve parmi d’autres, aucune référence n’est faite à l’Afrique et à l’agriculture comme secteur préférentiel pour construire des stratégies de développement dans le document exposant la nouvelle doctrine de l’Union « une politique commerciale équilibrée et novatrice pour maitriser la mondialisation ».
Paradoxalement 60% des personnes qui souffrent de la faim dans le monde sont aujourd’hui des paysans. Assaillis par la misère, dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée qui exige des investissements et des débouchés auxquels ils ne peuvent prétendre, ils forment les bataillons d’exclus qui alimentent les courants d’émigration que l’Europe peine à canaliser.
Face à l’urgence humanitaire qui se dresse devant nous, l’enjeu à plus long terme est de permettre à ces hommes et à ces femmes de pouvoir vivre sur leurs terres.
Pour ce faire, il est essentiel de repenser le système alimentaire mondial. Nous devons mettre en place un système capable de nourrir l’ensemble de l’humanité tout en préservant les écosystèmes de notre planète. La souveraineté alimentaire constitue une exigence supérieure à toute considération commerciale et la question de l’alimentation ne pourra être résolue par la concentration de la production dans certaines régions du globe au détriment des autres. Nous devons favoriser la relocalisation des agricultures.
L’Afrique subsaharienne est aujourd’hui confrontée à un double défi : celui de l’emploi des jeunes, qui arrivent en masse sur le marché du travail du fait de la croissance démographique, et sa forte dépendance aux importations de produits alimentaires. Il est essentiel d’appuyer l’agenda 2063 de l’Union africaine qui s’est ainsi fixé comme objectif de réduire, d’ici cinq ans, de 25% le taux de chômage, et de diviser par deux les importations de denrées alimentaires.
L’Union Européenne doit réviser sa politique commerciale vis-à-vis de l’Afrique et revoir les Accords de Partenariats Économiques (APE) qui constituent un frein à l’intégration politique et économique africaine et un danger pour le développement agricole de ces pays.
On est loin de l’esprit de la convention de Lomé, où l’Europe mettait l’accès à son marché intérieur dans la balance pour aider au développement agricole des ACP (Afrique, Caraïbes Pacifique). Comme pour la Politique Agricole Commune, la logique néo-libérale est passée par là, et au nom des bienfaits de la concurrence, les outils de régulation des marchés agricoles ont été supprimés, avec comme conséquence directe l’accaparement par l’agro-alimentaire de la valeur ajoutée créée par les paysans. Force est de constater que la PAC d’aujourd’hui comme les APE vident les campagnes qu’elles soient européennes ou africaines.
Il est donc impératif de sortir de la logique qui veut que la modernisation passe par l’exode des paysans. Nous devons privilégier des stratégies de développement basées sur l’agriculture pour assurer un meilleur équilibre entre zones rurales et urbaines. Cela induit la création d’une instance mondiale de gouvernance et de régulation, fondée non pas sur une libéralisation toujours plus grande des échanges mais sur une coopération équitable, afin d’offrir à notre planète la perspective inédite d’une phase de développement économique durable et solidaire.