C’est un énorme camouflet pour la Commission européenne. Mercredi 4 octobre, le Parlement a rejeté à la majorité absolue son projet de réglementation des perturbateurs endocriniens (PE). Réunis en session plénière à Strasbourg, les députés européens ont adopté, à 389 voix pour (235 voix contre et 70 abstentions), une objection au projet proposé par les groupes des socialistes (S&D) et des Verts (Verts-ALE) en septembre. La Commission devra donc revoir sa copie et proposer une autre version de ses « critères d’identification des perturbateurs endocriniens » « dans les plus brefs délais ».
Ces critères constituent un outil essentiel à l’application du grand règlement européen sur les pesticides de 2009. Ils doivent en effet permettre d’identifier les PE afin de les retirer du marché ou de leur en interdire l’accès. Si ces interdictions concernent d’abord les PE dans la famille des pesticides, elles devraient ensuite s’étendre à d’autres catégories de produits où ils sont également courants : cosmétiques, plastiques ou jouets. Capables d’interagir avec le système hormonal des êtres vivants, les PE contaminent aussi bien l’environnement que les organismes humains. En s’appuyant sur les données de surveillance officielles, l’ONG Pesticide Action Network avance, dans un rapport publié mardi, qu’un tiers des fruits européens contiendraient des pesticides ayant des propriétés de perturbation endocrinienne – mandarines, oranges, raisins et pêches en tête.
Les PE participent à l’augmentation de maladies comme l’infertilité, certains cancers, le diabète et l’obésité, ainsi que des troubles de développement du cerveau (autisme, baisse de QI…). La toute dernière étude scientifique sur le sujet, publiée la semaine dernière par une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) confirmait le lien entre une exposition à certains PE pendant la grossesse et des troubles du comportement chez les petits garçons de 3 à 5 ans.
Proposition trop laxiste
Le commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, « regrette » le vote du Parlement, a-t-il fait savoir dans un communiqué. Le Lituanien, cardiologue de métier, porte à bout de bras le projet de réglementation, sous le feu des critiques depuis le moment même de son annonce le 15 juin 2016. Malgré les amendements apportés au fil des mois, la communauté scientifique et la société civile jugeaient la proposition beaucoup trop laxiste. C’était aussi le cas de certains Etats membres, comme la France, qui la bloquaient au sein du comité spécialisé où se réunissent leurs représentants. Le changement de gouvernement et la nomination de Nicolas Hulot avaient changé la donne : grâce au revirement de la France, la Commission avait fini par arracher une majorité qualifée le 4 juillet après de longs mois de difficiles négociations.
Pour M. Andriukaitis, le parcours du combattant commence à ressembler à un chemin de croix. Car l’objection adoptée par les parlementaires ce mercredi concerne en fait un point très précis : une dérogation qui a justement permis au commissaire d’obtenir l’adhésion des Etats membres les plus rétifs à la réglementation. En particulier l’Allemagne, inquiète pour son industrie chimique.
Alors que l’objectif du règlement pesticides est de faire disparaître les PE du marché, cette dérogation aurait permis de dispenser les pesticides conçus spécialement pour agir sur le système endocrinien de leurs cibles. C’est-à-dire des pesticides conçus pour, justement, être des PE. Un comble pas seulement sur le principe mais aussi en termes juridiques, selon les eurodéputés. Ils considèrent en effet cette clause de « désidentification » des PE comme un abus de pouvoir de la Commission et donc illégale. Pour eux, l’exécutif européen outrepasse ses prérogatives en aménageant des exceptions dans la loi, et donc en intervenant sur certains de ses « éléments essentiels », votés au Parlement il y a huit ans de cela.
« Compromis foireux »
« Le Parlement européen a dit : pas de mépris pour la santé, pas de mépris pour la démocratie, a déclaré l’eurodéputé du groupe des Verts/ALE Yannick Jadot dans une vidéo diffusée sur son compte Twitter. La Commission maintenant a la responsabilité de revenir avec une proposition qui ne soit pas encore une fois un compromis foireux dans des salles obscures. » Pour les Socialistes et démocrates, Eric Andrieu a tweeté pour sa part : « Démocratie, principe de précaution 1, lobbyistes de l’industrie chimique 0. » Quant aux organisations non gouvernementales comme Alliance pour la santé et l’environnement (HEAL), elles « applaudissent la décision courageuse de mettre un veto à une proposition qui manquait d’ambition et qui aurait échoué à protéger la santé humaine et l’environnement ».
Le commissaire Andriukaitis et ses services ne doivent pas repartir de zéro, mais c’est tout comme. Il leur faudra à nouveau affronter des semaines, peut-être des mois de négociations avec les Etats membres. Sous la surveillance rapprochée des parlementaires aux aguets.
Source : Le Monde