Face à la mondialisation, il est nécessaire de préserver la biodiversité et les cultures alimentaires de chaque pays. Retrouvez l’intégralité de la tribune co-signée par Eric Andrieu avec Daniel Perron et un collectif dans Libération.
Pour une exception agri-culturelle dans le commerce mondial
La crise agricole traversée par l’Europe est le symptôme de l’affaissement d’une économie de consommation destructrice des hommes et de la nature. Après l’accord de Paris sur le changement climatique, nous affirmons qu’il n’y aura pas d’économie bas carbone sans évolution forte du modèle agricole et alimentaire qui pousse aujourd’hui à l’éradication de la biodiversité et au développement inconsidéré du transport de marchandises de base partout identiques. Répondre aux défis climatique et alimentaire du XXIe siècle impose une révolution dans nos approches de l’économie agricole.
Le droit à la souveraineté alimentaire
Pour donner un avenir à la planète et aux agriculteurs, nous pensons avec Jacques Diouf qu’il est temps de produire là où les gens ont faim. En clair, de limiter les échanges inutiles, et les gaspillages destructeurs de valeur. Il est temps de reconnaître aux peuples le droit à la souveraineté alimentaire et d’inscrire ce droit dans la Charte des Nations-Unies. A partir de cette reconnaissance, nous pourrons garantir le droit à la diversité des agricultures comme fondement des échanges internationaux. La nourriture ne peut être une marchandise comme les autres parce qu’elle constitue l’humain plus que tout autre chose. Il faut reconnaître une exception agri-culturelle dans les échanges internationaux.
Depuis la réforme de la PAC de 1992 et le lancement de l’OMC en 1995, l’agriculture bloque l’établissement de règles équitables d’échanges multilatéraux. La reconnaissance d’une exception agri-culturelle dans les traités commerciaux permettra de progresser sur les autres volets commerciaux des négociations multilatérales et renforcera la gouvernance mondiale qui en découle, aujourd’hui rongée par la multiplication des traités bilatéraux.
L’alimentation est en effet l’un des marqueurs culturels les plus forts des peuples. La reconnaissance mondiale de la France n’est pas étrangère à ses cultures alimentaire et culinaire singulières qui jalonnent sa géographie physique et mentale, comme la culture indienne, mexicaine ou japonaise ont fait des cuisines remarquables qui représentent mieux que tout la sensibilité de ces peuples. Chaque cuisinier sait combien il joue avec cette culture dont il représente l’excellence.
La préservation de la diversité culturelle
En juillet 1982, à la conférence mondiale de l’Unesco sur les politiques culturelles, la France appelait à préserver la diversité culturelle. Elle a fini par obtenir gain de cause. Les échanges culturels n’ont pour autant aucunement été interdits. La reconnaissance de l’exception culturelle a au contraire permis la création de richesse et d’échanges économiques. La globalisation des échanges ne peut se fonder sur la seule priorité d’avantages comparatifs construits sur la misère sociale ou le moins disant environnemental. Elle doit répondre au besoin d’affirmation et de reconnaissance des singularités pour féconder la richesse du monde dans la diversité.
Il faudra un jour expliquer en quoi la préservation de l’identité de l’industrie culturelle serait plus importante que celle de l’identité alimentaire. L’Unesco reconnaît le repas gastronomique français comme patrimoine immatériel de l’humanité. Comment admettre que cette reconnaissance n’implique pas celle de facteurs agri-culturels légitimes sur le marché mondial pour toutes les agricultures du monde ? L’alimentation est au fondement des cultures individuelles, claniques, ethniques, nationales, continentales… Elle relie directement l’être humain à la nature et lui donne sa responsabilité dans l’enchevêtrement du «Jardin planétaire» comme l’explique le jardinier Gilles Clément. Elle croise les identités, les croyances hygiénistes ou religieuses, les chemins et représentations de la bonne santé, les représentations symboliques, les revendications dans un magma singulier dont la digestion s’opère aussi bien extra-corpore que in-corpore.
De l’importance de la biodiversité agricole
Il ne peut y avoir d’alimentation singulière sans agriculture liée à l’écosystème local, sans prise en compte de son impact sur la biodiversité et le climat. La biodiversité est fondamentale pour l’avenir agricole, la préservation des diverses variétés de plantes d’intérêt agronomique est essentielle. Ce qui distingue chaque peuple relève d’abord de ses productions agricoles tant qu’elles sont liées à leurs territoires agronomique et humain. Aussi faut-il s’alarmer avec la FAO d’une mondialisation devenue globalisation de l’uniformité qui conduit à la disparition de la biodiversité agricole et des cultures alimentaires. Partout prédominent des animaux et des cultures similaires, façonnés pour leur rentabilité économique. Dans le monde, cinq cultures prévalent : blé, riz, maïs, manioc et soja. Et l’on fait miroiter la fin de certaines carences alimentaires par l’adjonction génétiques de vitamines dans ces espèces plutôt que par la promotion de la diversité alimentaire !
La France l’a bien compris. Depuis 2012, son gouvernement a défendu tour à tour une diplomatie de la gastronomie et des terroirs pour promouvoir notre pays. A l’exposition universelle de Milan, la France a délivré le message de sa vision alimentaire. Son pavillon a été élu meilleur pavillon de l’exposition. Nous avancions ce modèle de diversité comme un étendard non pas de la fermeture au monde, mais bien plutôt de l’ouverture à la diversité, sur laquelle le commerce doit reposer. Nous ne promouvons pas la domination du modèle français mais le droit de chaque pays à sa culture agricole dans la mondialisation.
Préserver la diversité du monde
C’est par la reconnaissance de l’exception agri-culturelle que nous parviendrons à redonner aux peuples la souveraineté de leurs choix alimentaires, aux paysans leur libre dialogue avec la nature et à préserver la diversité du monde, principal instrument de notre sécurité alimentaire. Il n’y aura pas d’agriculture durable sans le respect des réalités écologiques, pas de santé durable non plus.
Il faut désormais aller plus loin, pour protéger aussi nos producteurs qui assurent cette culture alimentaire par leur travail. Reconnaissons l’exception agri-culturelle dans le commerce mondial.
Les signataires : Eric Andrieu (député européen); Alain Berger (agronome, économiste, ancien Commissaire général français pour l’Exposition Milan 2015); Gilles Bœuf (biologiste, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle); José Bové (député européen); Olivier De Schutter (professeur de droit, ancien Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’Homme à l’ONU); Quentin Delachapelle (agriculteur, président de la FNSIVAM); Jean-Pierre Doussin (expert ONU, ancien président de Max Havelaar France); Marc Dufumier (agronome, professeur émérite AgroParisTech); Laurent Gervereau (philosophe, vice-président de la Fondation René-Dumont); Jean-Marie Gilardeau (membre de l’Ander, l’association nationale de développement des espaces ruraux); Nicolas Hulot, (écologiste, ancien envoyé spécial du président Hollande pour la protection de la planète); Gilles Luneau (journaliste et réalisateur); Marcel Mazoyer (agronome, professeur émérite AgroParisTech); Frédéric Mousseau (The Oakland Institute, USA); Germinal Peiro (député, président du Conseil départemental de la Dordogne); Daniel Perron (juriste, auteur de Critique de la pensée agricole, l’Harmattan, 2016); Carlo Petrini (journaliste, fondateur du mouvement Slow Food); Jocelyne Porcher (sociologue, directrice de Recherche INRA-SAD); Laurence Roudart (professeur de Développement agricole à l’Université Libre de Bruxelles).