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Règlement bio : Lettre aux Ministres

 

Retrouvez la lettre que j’ai adressée aux Ministres Nicolas Hulot et Stéphane Travert sur la question du règlement bio :

 

Bruxelles, le 13 novembre 2017

Objet : Règlement bio

Monsieur le Ministre,

 

Je vous écris en qualité de député européen, co-rapporteur pour le Groupe Socialistes & Démocrates au Parlement européen sur la réforme du règlement relatif à l’agriculture biologique. Comme vous le savez, les discussions législatives autour de ce nouveau règlement sont en cours depuis bientôt 2 ans et demi. Le 18e et très long trilogue du 28 juin 2017 a mis fin aux négociations entre les institutions européennes, dans un contexte de grandes divergences de vues entre Etats membres sur certains aspects de la réforme, et après plusieurs ‘suspensions’ du processus législatif à cause de ces divergences au sein du Conseil. Le 17 juillet dernier, le Conseil de l’UE aurait dû approuver, par un vote final définitif, le texte âprement négocié, mais, encore une fois, il n’en a rien été. Malgré les progrès très nets apportés par le texte sur divers sujets (voir ci-dessous), la fraction la plus radicale des opérateurs allemands du secteur de l’AB, qui pratique un lobbying intense contre tout le processus de réforme depuis ses tout premiers jours (via la plateforme BÖLW) a fait pression sur le gouvernement allemand, entrainant celui-ci dans une posture d’abstention, voire de rejet, au Conseil. Or cette abstention de l’Allemagne compromet la formation d’une majorité et cela a conduit la Présidence du Conseil à reporter le vote au Comité Spécial agricole (CSA) du 20 novembre prochain. Il est très probable, dans le contexte politique actuel outre-Rhin, que lors de ce CSA l’Allemagne confirme son abstention ou même son opposition au texte âprement et si longuement négocié. En faisant cela, la fédération allemande met tout le secteur bio européen en danger et sacrifie en même temps le projet européen, tant il est certain que l’échec d’un projet législatif entier, construit péniblement depuis si longtemps, fait le lit des populismes anti-Europe les plus virulents.

 

Aussi, permettez que je dresse ici la liste des raisons pour lesquelles ce projet de règlement est porteur d’avancées réelles tant pour les producteurs que pour les consommateurs européens de produits biologiques et mérite votre entier soutien lors du CSA du 20 novembre prochain.

 

Extension du champ d’application du règlement : de nombreux produits déjà fabriqués biologiquement mais qui ne sont pas encore couverts par le règlement actuel pourront à l’avenir bénéficier du label bio. Il s’agit notamment des animaux de ferme comme les lapins et les cervidés, de toutes les huiles essentielles, de la cire d’abeille, du liège, du maté, de la laine, du coton, du sel, etc.

Des contrôles plus ciblés, afin de réduire les risques de fraude et les irrégularités : par l’effet du règlement nouveau sur les contrôles officiels (Règlement n°2017/625) et celui du compromis actuel, les contrôles devront être basés désormais sur une analyse des risques systématique avec des paramètres très précisément définis, tout en restant adaptés au secteur de la production biologique, comme cela était demandé par les parties prenantes ; le principe du contrôle annuel est maintenu, mais il deviendra inopiné et pourra être complété, en cas de risque élevé, par un ou plusieurs contrôles physiques supplémentaires, également inopinés ; si, d’autre part, aucune irrégularité n’est constatée pendant une période de 3 ans, le contrôle physique sur place (et seulement lui) pourra alors être espacé de 24 mois, à la demande du producteur qui souhaiterait économiser les coûts correspondants.

Application du cahier des charges européen aux produits importés : Environ 50% des produits biologiques vendus dans l’UE sont actuellement importés de pays tiers. Jusqu’à 60 normes différentes sont utilisées pour contrôler et certifier ces produits importés. Le compromis prévoit que les normes européennes seront désormais applicables à tous ces produits, avec une période de transition de 5 ans et des dérogations possibles pour des cultures et des climats spécifiques. Il s’agit d’une mesure de simplification, mais aussi d’équité pour les producteurs européens, placés désormais sur un pied d’égalité avec les producteurs étrangers.

Consécration du principe du lien des plantes avec le sol : le règlement actuel exclut expressément l’hydroponie, mais pas la production hors-sol, dans des serres, sur des substrats par exemple. C’est désormais le cas. En principe, la production hors-sol est donc exclue. Une exception mineure, toutefois, a été négociée avec les Etats nordiques (FI, SE, DK), afin que les investissements déjà engagés dans ces pays-là puissent être amortis, sur une période maximale de 10 ans.

Instauration de mesures de précaution précises afin d’éviter les contaminations des produits bio par des pesticides : si les mesures de précaution visant à prévenir la contamination par des substances non autorisées font déjà partie de la réglementation en vigueur, elles sont désormais grandement clarifiées et précisées par le compromis final. Ces mesures ont succédé au concept de « seuil de décertification », proposé initialement par la Commission, mais refusé absolument par le secteur bio professionnel de certains Etats membres, dont l’Allemagne et la France. Les autres Etats membres, souhaitant conserver l’application d’un seuil ou en instaurer un, gardent la possibilité de le faire. La Commission est de plus chargée d’enquêter sur les raisons précises de ces contaminations, dans un délai maximal de quatre ans, et de proposer éventuellement de nouvelles solutions législatives, de même que des mesures compensatoires, à l’issue de cette enquête. En attendant, il s’agit d’un bon compromis de transition.

Un meilleur accès aux semences et au matériel de reproduction des plantes adaptés à l’agriculture biologique : le nouveau règlement introduit deux nouvelles catégories de «variétés» disponibles pour l’agriculture biologique: le «matériel biologique hétérogène», qui correspond essentiellement aux variétés traditionnelles actuellement interdites à la vente, et les «variétés biologiques adaptées à la production biologique», issues de programmes de création variétale spécifiquement adaptés aux besoins et contraintes de l’agriculture biologique. Le « matériel biologique hétérogène » pourra être mis sur le marché moyennant une simple déclaration préalable, prenant la forme d’un « dossier » présentant les caractéristiques du matériel, à l’administration compétente, qui aura 3 mois pour formuler des observations sur la complétude ou non du dossier. Passé ce délai le dossier sera réputé accepté et le matériel pourra être mis sur le marché. Les « variétés biologiques adaptées à la production biologique» pourront être mises sur le marché dans les conditions également dérogatoires, mais qui seront fixées par la Commission dans le cadre d’une « expérience temporaire » de 7 ans, visant à évaluer les caractéristiques de ces nouvelles variétés et à adapter la législation horizontale sur le commerce des semences en conséquence. Ces catégories nouvelles ne viennent pas remplacer les variétés hybrides F1 actuellement disponibles ; elles s’ajoutent à l’offre actuelle en semences. Ces dispositions, après 22 ans d’utilisation très répandue de semences non biologiques (première obligation introduite en 1995, mais restée largement lettre morte), permettront de répondre mieux aux principes de l’agriculture biologique (haut niveau de biodiversité) et aux obligations contenues dans le cahier des charges de l’agriculture biologique (semences de qualité biologique), mais aussi d’offrir aux agriculteurs bio du matériel beaucoup mieux adapté à leurs besoins agronomiques. Le compromis autorise aussi expressément les agriculteurs bio à produire et utiliser leurs propres semences.

Création d’une base de données pour informer opérateurs et autorités de la disponibilité effective en semences et animaux de qualité biologique, afin d’éviter l’utilisation systématique de leurs équivalents conventionnels : L’objectif de cette base de données, mise désormais à la disposition, sans frais, des producteurs de semences et animaux biologiques, est de rendre publique et facilement vérifiable l’offre en ces matériels de qualité biologique. Seule l’insuffisance avérée de ces matériels sur cette base de données pourra désormais justifier l’octroi d’une dérogation pour l’utilisation de semences ou d’animaux conventionnels.

 

Création des « groupes de producteurs » pour améliorer la coopération entre les producteurs et leur permettre de réduire les coûts de la certification : actuellement, les « groupes de producteurs », qui mutualisent les infrastructures et matériels, ainsi que les coûts de production et de certification, ne sont autorisés que dans les pays tiers, ce qui est injuste et défavorise les producteurs européens. Le compromis actuel propose d’autoriser également ces regroupements pour les petits producteurs de l’UE, pour lesquels le coût de la certification est très lourd.

– Des exceptions pour la commercialisation de produits biologiques non emballés : les petits magasins ou les producteurs à la ferme devraient désormais être autorisés à vendre des produits biologiques non transformés et non emballés jusqu’à un certain plafond, sans qu’une certification ne soit exigée spécifiquement pour le magasin. Toutefois, les autorités devront être informées de cette activité de vente, par le biais d’une notification préalable.

Monsieur le Ministre, je suis très attaché, pour ma part, à ce que ces propositions aboutissent. Mon groupe politique, dont je suis le coordinateur au Parlement européen, l’est également. En effet, elles représentent pour l’agriculture biologique de réelles avancées, dont il y a tout lieu, pour les co-législateurs européens que nous sommes, de se féliciter. Dans le même temps, il faut se rappeler que chaque texte nouveau fait partie d’un processus normatif évolutif, qui marque une étape et non pas une fin. Si l’on peut admettre que le compromis aurait pu être plus ambitieux, il est incontestable qu’il constitue un progrès par rapport au règlement actuellement applicable et il pourra – et devra – certainement être encore amélioré à l’avenir.

Sur ce dossier, il est ainsi fondamental que la France joue un rôle moteur dans l’Union européenne, qui, même sans la participation de l’Allemagne, permettrait d’emporter la conviction d’autres États membres.

Confiant dans votre intérêt pour le sujet de l’agriculture biologique,

Et dans l’attente de votre réponse,

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

 

Eric Andrieu

Député européen

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